L’utilisation des outils de Google (Gmail, Drive, Analytics, Workspace…) et de Microsoft (Office 365, Azure, Teams…) dans un cadre professionnel est omniprésente. Pourtant, leur conformité avec le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) fait débat. Certains estiment que leur usage est acceptable si certaines précautions sont prises, tandis que d’autres pointent des risques juridiques majeurs, notamment en raison des transferts de données vers les États-Unis. Alors, où en sommes-nous réellement ?
1. Les grands principes du RGPD appliqués aux outils américains
Le RGPD repose sur plusieurs principes fondamentaux qui doivent être respectés lorsque des données personnelles sont traitées :
- Licéité du traitement : Une base légale doit justifier chaque traitement de données.
- Minimisation des données : Collecter uniquement les données nécessaires.
- Transparence : Informer clairement les utilisateurs sur l’usage de leurs données.
- Sécurité et confidentialité : Garantir la protection des données contre tout accès non autorisé.
- Encadrement des transferts hors UE : S’assurer que les données transférées en dehors de l’Espace Économique Européen bénéficient d’un niveau de protection équivalent au RGPD.
C’est précisément sur ce dernier point que les outils de Google et Microsoft posent problème.
2. Le problème des transferts de données vers les États-Unis
Depuis l’invalidation du Privacy Shield en juillet 2020, les transferts de données personnelles entre l’Union européenne et les États-Unis ont été au cœur de nombreuses discussions. En juillet 2023, la Commission européenne a adopté une décision d’adéquation pour le Data Privacy Framework (DPF), visant à faciliter ces transferts tout en assurant un niveau de protection adéquat . Ce nouvel accord remplace le Privacy Shield et permet aux entreprises certifiées de transférer des données sans recourir aux Clauses Contractuelles Types (CCT) ou aux règles d’entreprise contraignantes (BCR).
Cependant, des préoccupations subsistent quant à la pérennité du DPF. Des experts estiment qu’il pourrait être invalidé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), comme ce fut le cas pour ses prédécesseurs. L’une des principales critiques concerne la Section 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), qui autorise les agences de renseignement américaines à accéder aux données des non-résidents sans mandat . Cette disposition soulève des questions quant à la compatibilité avec le RGPD, notamment en matière de protection des données et de respect des droits des personnes concernées.
Parallèlement, des géants technologiques comme Microsoft et Google proposent des solutions de stockage des données exclusivement au sein de l’Union européenne. Par exemple, Microsoft a mis en place le EU Data Boundary, permettant aux clients de stocker et de traiter leurs données dans l’Espace économique européen. Cependant, même avec ces mesures, les entreprises américaines restent soumises aux lois américaines, telles que le FISA 702, ce qui peut entraîner des accès aux données par les autorités américaines, indépendamment du lieu de stockage.
3. L’avis des autorités européennes et la position de la CNIL
Face à ces risques, plusieurs autorités de protection des données européennes ont exprimé leurs inquiétudes :
- La CNIL a déjà mis en garde sur l’utilisation de Google Analytics, le jugeant non conforme au RGPD en raison du transfert des données vers les États-Unis sans garanties suffisantes.
- Des interdictions dans certains pays : Plusieurs États, comme l’Autriche ou le Danemark, ont recommandé d’abandonner l’usage de certains outils de Google et Microsoft dans les services publics
- le CEPD (Comité Européen de la Protection des Données) recommande l’adoption de mesures supplémentaires pour encadrer ces transferts, comme le chiffrement des données avant exportation.
Microsoft a toutefois pris des engagements pour stocker les données des clients européens en Europe via son initiative EU Data Boundary, mais cela ne règle pas entièrement la problématique du Cloud Act.
4. Peut-on utiliser Google Workspace ou Office 365 en respectant le RGPD ?
La réponse dépend du contexte et des mesures mises en place. Voici quelques recommandations pour limiter les risques :
✅ Bonnes pratiques pour une meilleure conformité
✔ Vérifier la base légale du traitement : S’assurer que les traitements reposent sur une base légale (ex. : contrat, consentement, obligation légale).
✔ Passer des clauses contractuelles types (CCT) : Ces contrats encadrent les transferts de données hors UE, mais nécessitent des mesures supplémentaires.
✔ Chiffrer les données avant transfert : Utiliser des solutions de chiffrement dont seul l’organisme utilisateur détient la clé.
✔ Limiter l’usage des données personnelles : Privilégier des solutions alternatives pour traiter des données sensibles.
✔ Analyser les risques avec une AIPD (Analyse d’Impact sur la Protection des Données) : Évaluer les impacts du traitement sur la vie privée des utilisateurs.
Pratiques à éviter
❌ Utiliser Google Analytics sans mesure complémentaire : Aujourd’hui, la CNIL recommande des solutions alternatives hébergées en Europe.
❌ Stocker des données sensibles sans garanties suffisantes : Par exemple, ne pas héberger de données de santé sur un service cloud soumis au droit américain.
❌ Utiliser par défaut les outils Google ou Microsoft sans évaluation : Toujours analyser l’impact et les alternatives possibles.
5. Existe-t-il des alternatives conformes au RGPD ?
Pour ceux qui souhaitent limiter leur dépendance aux géants américains, voici quelques alternatives européennes :
- Pour l’email et la bureautique : Zimbra, Nextcloud, OnlyOffice, ProtonMail
- Pour le stockage cloud : OVHcloud, Infomaniak, Tresorit
- Pour l’analytics : Matomo, Plausible
- Pour la visioconférence : Jitsi Meet, Whereby
Certaines administrations et entreprises passent progressivement à ces solutions pour garantir une meilleure souveraineté des données.
Conclusion : Google et Microsoft, un usage sous conditions strictes
L’utilisation des outils de Google et Microsoft dans un cadre conforme au RGPD est un enjeu complexe. Si des mesures techniques et contractuelles permettent de réduire les risques, elles ne garantissent pas une conformité totale, notamment en raison des lois américaines sur l’accès aux données.
Les autorités européennes, et en particulier la CNIL, appellent à la prudence et encouragent l’adoption de solutions alternatives hébergées en Europe pour éviter les transferts de données hors UE.
En conclusion, bien que des avancées significatives aient été réalisées pour faciliter les transferts de données entre l’UE et les États-Unis, des incertitudes juridiques persistent. Les entreprises européennes doivent rester vigilantes, évaluer régulièrement la conformité de leurs partenaires et envisager des mesures supplémentaires, telles que le chiffrement avancé ou le recours à des fournisseurs européens, pour assurer une protection optimale des données personnelles conformément au RGPD.